Son père l’appelle Petite Indienne. Elle a 8 ans et ne sait pas encore qu’elle est métisse, qu’elle a la peau trop foncée et qu’elle est une fille. Métis et fille, une double malédiction dans cette Amérique des années 50. Elle est pourtant particulièrement heureuse, 6è d’une fratrie de 8, guidée par les histoires d’un père à l’imagination débordante et à la sagesse profonde héritée des Cherokee.
Mené à la première personne, ce récit, qui nous conduit de l’enfance à l’âge adulte, brosse le tableau d’une société violente, sans pitié pour les femmes, sans pitié pour les peaux trop foncées, les métis, les Amérindiens, les Noirs. Il déborde pourtant d’amour et de poésie, d’espoir et de lumière. Bien sûr on admire le courage et la force des personnages, de cette enfant si sage qu’elle pourrait avoir 100 ans. Mais ce n’est pas uniquement de ça dont il s’agit. Ce serait bien trop facile, un ènième roman sur le courage des faibles, sur la force des opprimés. Dans ce roman admirablement écrit - j’ai été sensible à la poésie, sans fioriture, sans lieux communs, une langue qui semblait vouloir rendre compte de la poétique des personnages et de leur rapport au monde jusque dans sa construction – c’est d’imagination dont il s’agit : c’est par là, par l’art, que les personnages trouvent leur salut.
A travers l’art et l’amour.
D’ailleurs, peut-on aimer, aimer véritablement, sans imagination ? Et c’est par le père que les enfants se déploient dans tous leurs talents, le père Cherokee, qui accueille chaque nouvel être dans ce qu’il a d’unique et de singulier et qui cultive chez ses enfants le respect et l’amour de chacun, dans sa différence. Ce père qui apporte à une réponse pleine de mystère et de poésie à chacune de leur question. Ce père au cœur de verre qui abrite un oiseau : il ne faudrait surtout pas le briser.
Si tous les personnages féminins se débattent avec cette malédiction qui les a faites femmes, au milieu d’une société d’hommes violents, violeurs, tous les hommes ne sont pas à l’image de la société. C’est une des grandes réussites de ce roman : les personnages masculins eux aussi sont profonds, construits à partir de leurs fragilités, emplis d'amour et de poésie : les deux petits frères, si doux, le voisin doux-dingue. Et les femmes ne sont pas exemptes de violence. Mais c’est le père, Landon, qui est le cœur du roman. Socle de la famille, père nourricier, père guérisseur, sorcier, chaman, poète, il irradie dans chaque mot, chaque phrase. Il n'est qu'amour pour sa famille, pour la terre, les herbes, les animaux, les étoiles, la vie. Une phrase qui m’est restée, d’une émotion puissante, et qui résume à elle seule qui il était, lorsque Betty doit lui dire un dernier adieu : « C’est dur d’être la fille d’un dieu ».
Un roman puissant, profond et poétique, un chant d’amour à l’art, l’amour et la sagesse des Cherokee, plus forts que tout. Mon coup de cœur de l'été 2023.
"Betty", de Thiffany McDaniel, chez Babelio
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